Maternelle

J’ai été absente pendant un moment.
Je devenais mère pour la première fois et j’avais besoin de prendre le temps de vivre cela. Comme tout le reste, j’ai vécu cette expérience à travers le prisme des sciences sociales—en observant la société et ses effets sur le comportement et la pensée humaine. Voilà ce que j’en retiens :

La maternité est un parcours fondamentalement incompris.

 

Avec du recul, je me souviens avoir été entourée de personnes qui voulaient aider, sans savoir comment faire pour autant.
La maternité, c’est avoir 10 000 cuillères alors qu’on a besoin d’un couteau.
Jamais la vie ne m’avait paru être un cadeau aussi magnifique. J’étais occupée, fatiguée, épuisée—mais émerveillée par la beauté de la Nature. Je n’avais jamais ressenti un tel sentiment de transcendance et d’amour, une expérience métaphysique de création et de renaissance et un tourbillon de processus psychophysiologiques.
Je faisais désormais partie d’une sororité de femmes ayant vécu cette expérience extraordinaire qui bouleverse le corps et l’esprit, dans une société qui n’est pas faite pour cela.
J’ai un profond respect pour chaque mère, bien plus que je n’aurais pu l’imaginer auparavant.
Les mères sont des guerrières de la vie.

 

Quelques Chiffres


Les mamans assument encore la majeure partie de la charge mentale du foyer.
Elles gèrent 71 % des tâches domestiques nécessitant un effort cognitif—soit 60 % de plus que les pères, qui n’en gèrent que 45 %.
Une étude récente de l’université de Batch, menée auprès de plus de 3 000 foyers a montré que les femmes prennent systématiquement en charge la majorité de la charge mentale quotidienne, tandis que les pères surestiment leur part et se concentrent sur des tâches épisodiques comme les finances ou les réparations.

À noter : les mères effectuent tout de même 53 % de ces tâches ponctuelles également, ce qui entraîne un double effort de leur part.

Jamais la société n’a autant exigé des femmes : contribuer aux tâches ménagères, élever les enfants, travailler et entretenir une vie sociale.

Les rôles sont toujours différents pour les mères et les pères.

La théorie du “tuyau percé” désigne la baisse progressive de la participation des femmes à mesure qu’elles n’avancent dans leur carrière.
Les mères prennent en charge 79 % des tâches quotidiennes comme le ménage ou la garde des enfants—plus du double des pères (37 %)—ce qui empiète inévitablement sur leur carrière. Les pères, quant à eux, se concentrent plutôt sur des tâches ponctuelles (65 %) qui ne freinent pas leur progression professionnelle.

Les papas surestiment leur part.
Les parents ont souvent tendance à surestimer leur contribution, mais c’est plus fréquent chez les pères que chez les mères. Ils sont également plus enclins à penser que la charge mentale au sein du foyer est partagée équitablement—ce que les mères contestent généralement.*

 

Mon Expérience


Je me souviens des premiers mois comme d’un véritable tourbillon émotionnel. Une tempête remplie d’amour et de journées brumeuses, entourée de personnes qui voulaient aider, mais ne savaient pas comment.
La plupart étaient des femmes. Des mères, pleines de bonnes intentions, essayant d’être présentes. Des femmes qui avaient traversé la maternité et ses épreuves—se sentant perdues, désorientées, propulsées dans un rôle pour lequel on est à peine préparée.
Mais beaucoup avaient été blessées par le système :
Celle qui m’a conseillé d’arrêter l’allaitement l’avait fait sur ordre de son médecin pour pouvoir retourner travailler.
Celle qui me donnait des conseils en gestion du temps avait mis sa propre vie entre parenthèses, perdant toute forme d’indépendance financière.
La plupart étaient soit à bout de force, soit trop occupées pour être réellement présentes.
Et je ne leur en veux pas.

Comment une femme peut-elle demander de l’aide à d’autres qui, elles-mêmes, n’en ont jamais reçu ?


 Mais avec toute la bonne volonté du monde, les conseils non sollicités blessaient profondémment.
Je n’avais pas besoin de conseils—j’avais besoin d’être vue, comprise, soutenue. Mais celles à qui je demandais de l’aide ne l’avaient jamais reçue, et ne savaient donc pas comment l’offrir.
Comment leur dire que, de ma perspective, elles avaient simplement intériorisé les règles d’une société dysfonctionnelle—une société inadaptée autant aux mères qu’à leurs enfants ?
Elles avaient toutes raison, chacune à leur manière. J’aurais pu être plus organisée, ou faire d’autres choix concernant l’allaitement ou le sommeil. Mais ces décisions étaient les miennes, mes priorités, mes combats.
Ce que la plupart des gens n’ont pas su faire, c’est écouter, et valider ce que je vivais—ainsi que ce sentiment d’injustice que je ressentais en essayant de répondre aux exigences démesurées imposées par le monde moderne.
Avec le recul, je réalise que j’ai eu de la chance.
J’avais un partenaire présent, qui m’écoutait. J’avais de vrais amis, qui me voyaient, me reconnaissaient, et m’offraient un soutien inconditionnel. J’avais la capacité de communiquer avec mon entourage et une carrière qui me donnait la liberté de gérer mon temps à ma façon.
Cela n’a fait qu’accroître mon respect pour toutes celles qui n’avaient pas cette chance. Je suis en admiration devant leurs efforts.
Je souhaite seulement qu’elles s’accordent à elles-mêmes cette même admiration.

 

Allier expérience personnelle et recherche : comment soutenir une jeune mère


Une grande partie de ma carrière a été consacrée à la protection et à la valorisation de la vulnérabilité—en commençant par les enfants. Mais pour cela, il faut d’abord soutenir celles qui en prennent soin au quotidien : les mamans.
La vie d’une jeune mère change en un instant.
Son corps s’est tellement transformé qu’elle ne se reconnaît parfois plus. Elle est surstimulée, envahie par les hormones, épuisée par un manque chronique de sommeil, avec un petit être totalement dépendant d’elle. Et alors qu’elle tente de naviguer dans cette tempête, la plupart des gens pensent que la meilleure façon d’aider, c’est de donner des conseils.
Or, ce n’est presque jamais ce dont elle a besoin
.

Voici quelques alternatives qui pourraient être utiles :

  • L’accompagner. Quand elle accomplit ses tâches de maman, accompagnez-la. Elle se sentira considérée, incluse et prise en compte.
  • L’écouter. Plutôt que de lui dire quoi faire. Elle est à l’écoute de son bébé 24 heures sur 24. Elle n’a probablement pas le temps de traiter ses propres pensées. Donnez-lui cet espace, demandez-lui ce dont elle a besoin—cela l’aidera à se reconnecter à ses propres besoins.
  • La rassurer. Les problèmes émotionnels n’ont pas besoin d’être “résolus”—ils ont besoin d’être accueillis.
  • Accueillir toutes ses émotions. Même si elle n’est plus enceinte, ses hormones sont encore en mouvement et son corps continue de changer. Écoutez la culpabilité, la honte, la peur, la colère -ces émotions son toutes sont légitimes et coexistent souvent avec l’amour, la joie et la gratitude.
  • Ne pas lui dire de se calmer quand bébé pleure. Elle est biologiquement programmée pour réagir. Qui plus est, la parentalité peut raviver des blessures d’enfance profondément enfouies : il serait plus utile de créer un espace sûr, un cocon pour guérir en son temps.
  • Lui dire qu’elle est belle. Devenir mère est une expérience incroyable, mais qui a un prix. Une mère offre son corps, met sa carrière en pause, perd ses repères, et fait le deuil de certaines parties d’elle-même. Aidez-la à le retrouver, dans les petits détails du quotidien.
  • Se renseigner. Ce qui m’a frappée, c’est combien de personnes donnaient des conseils sur des sujets qu’elles ne maitrisaient pas. Une mère passe une grande ârtie de son temps -une grande part de la charge mentale invisible- à rechercher les meilleures approches pour son enfant. S’en charger lui fais gagner du temps et de l’énergie.
  • Être simplement là. Soyez réceptifs, ouverts, attentifs. Elle vous en sera reconnaissante. L’être humain est un être social appaisé par la connexion et l’appartenance. A defaut de faire quoi que ce soit—être présent sans jugement est largement suffisant. Elle vous sera reconnaissante.

 

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