« J’ai voulu enregistrer cela car j’ai pu dépasser le harcèlement moral au travail et j’aimerais partager mon témoignage en espérant aider les autres à le surmonter.
Je crois que le cœur du harcèlement est très complexe. Quand on est en position de faiblesse – ce qui était mon cas dans cette situation- on montre une faille que le harceleur voit et il s’en sert pour nourrir son processus destructeur. C’est comme s’il voyait un verre et qu’il voulait remplir le verre pour qu’il soit plein et qu’il puisse le boire.
Au début ça a commencé parce que je venais d’un autre pays et il m’a embauché, donc ça a commencé par un peu de chantage où il a utilisé le fait qu’il m’avait embauché pour se positionner comme mon sauveur. Et moi j’y ai cru parce que c’était vrai, c’était lui qui m’avait embauchée, et c’est grâce à lui que j’ai pu venir à Paris. Et donc il a manipulé cet élément pour que je le croie, et plus je le croyais, plus j’étais en confiance, et plus lui montrais, plus il pouvait remplir à nouveau ce verre et « frapper » à nouveau.
Et donc ça a commencé par du chantage, puis ça a évolué… quand je faisais des erreurs au travail – c’est devenu un peu méchant dans le sens où c’est quelqu’un, le harceleur est quelqu’un qui veut toujours vous rabaisser. Par exemple, il disait « tu ne comprends pas » et utilisait des formules « quand je te parle, tu me regardes dans les yeux, tu regardes toujours vers le bas »… et, quelque chose qui revenait toujours, toujours, c’était « tu es sûr que tu comprends ?! » ou il disait « Je t’ai recruté mais je ne sais pas ce que je vois là… » donc c’était un peu comme ça et puis c’est devenu public. Donc devant les autres.
Dans mon poste je dois voir beaucoup de personnes internationales pour le travail, et donc il me présentait toujours comme son trophée, genre « j’ai recruté cette personne parce qu’elle vivait dans un pays très pauvre et j’avais besoin de sauver quelqu’un ». C’était donc ça, mais devant tout le monde.
Et puis, ce qui a changé – je me taisais en fait – ce qui a changé, c’est le ton de sa voix. Avant il disait cela à moitié en plaisantant, avec un petit sourire dans les yeux « je l’ai embauchée » ; puis à un moment donné, ça s’est transformé en cris. Ça s’est transformé en de véritables « ondes négatives ». Une fois, je déjeunais tranquille – avec presque dix personnes quoi – et il est venu au milieu du déjeuner me poser une question et… J’étais stressée parce que son ton était élevé, alors je me suis automatiquement figée parce que le ton était très fort, j’étais paralysée. Et comme j’étais paralysée, je ne pouvais pas lui répondre, et il s’est mis à gueuler devant tout le monde et… c’est à ce moment-là qu’il a commencé à me paralyser.
Et ça montait crescendo des deux côtés : plus il montait son ton, plus ma réaction émotionnelle s’intensifiait : j’étais paralysé et je ne pouvais plus penser. C’était cri après cri, manipulation après manipulation ; dans le sens où, par exemple, si quelqu’un m’envoyait un mail avec une autre personne en copie, il me demandait si j’avais reçu le mail de la personne en copie et non de l’expéditeur d’origine (…) Il me tendait des pièges en me posant des questions étranges auxquelles je ne pouvais pas répondre, et quand je ne les comprenais pas, il devenait fou en disant « tu ne lis pas tes mails, tu ne peux pas suivre tu es complètement au nord, incapable de se concentrer, qu’est-ce que c’est que cette merde- »… mais je n’avais vraiment rien à voir avec cette personne en copie de l’e-mail ! Alors c’était un peu ça : il créait des failles pour me faire tomber dedans et il trouvait toujours un piège pour me faire tomber dedans. Une autre fois, il m’a demandé d’envoyer quelque chose à quelqu’un, et je l’ai envoyé. Mais il devait envoyer autre chose à la place, mais il ne me l’a pas dit. Alors lorsque la personne a reçu son colis, elle s’en est pris à moi en disant que j’avais envoyé le mauvais colis, puis il a simplement dit « ah oui je ne t’ai pas dit… » – mais entre temps je m’étais faite engueulée par une autre personne quoi. C’était toujours comme ça. Toujours. Et puis toujours en criant. Il me criait dessus pour tout et n’importe quoi, il faisait des commentaires dégradants du type « tes ongles sont horribles, comme les ongles d’un portugais » (dixit commentaire raciste et discriminatoire)… ça empirait. Et à un moment donné, j’étais complètement paralysé et … ce qui m’a vraiment aidé, c’est mon corps, comme toujours. J’avais tellement peur que j’ai développé… Je ne sais pas, tous les matins pendant quelques semaines, je me réveillais et je vomissais. Tous les matins, avant d’aller travailler. Et c’était de l’acide, je n’avais rien mangé, mais tous les matins pendant trois semaines je vomissais. Alors, je pensais que j’étais malade, je prenais des vitamines etc. Et quand il arrivait au travail, je me sentais déjà mal depuis le matin, mais dès que j’entendais ses pas, je vous jure que j’étais paralysé, j’étais malade. j’avais encore envie de revomir à nouveau. Et c’est ce qui m’a fait comprendre que quelque chose n’allait pas, il y a quelque chose qui ne va pas. Et je ne pouvais pas lui faire face parce que j’avais peur de lui, j’avais peur qu’il m’engueule, qu’il me frappait… Je me suis dit cette personne est capable de me frapper.
Jusqu’au jour où… la situation était devenue extrêmement tendue, j’étais mal à l’aise, on était incapables de communiquer et il n’arrêtait pas de dire « je ne comprends pas, je fais tout pour t’aider, mais je ne comprends pas comment tu fonctionnes » et il criait – comme si cela allait changer quelque chose. Et ce qui s’est finalement passé, c’est qu’un jour, j’étais en réunion avec lui et trois autres personnes, et il m’a demandé un document sur lequel j’avais travaillé avec une autre personne qui était présente à la réunion. Cette personne m’avait envoyé ce document avant la réunion donc j’ai pensé que c’était bon. Puis mon patron m’a posé des questions sur le document et la personne qui me l’avait envoyé m’a alors dit « oh non, ce que tu dis est faux, ce n’est pas comme ça que ça devrait être ». Je l’ai regardé et je lui ai dis mais… « tu te fous de ma gueule ? » . Et mon patron ne m’a pas défendu mais il a repris les cris à la place « Tu ne comprends pas, tout te passe par dessus la tête (il disait souvent ça), ça ne sert à rien, je te l’ai déjà dit et j’ai expliqué plusieurs fois pour que tu comprennes, mais comment tu veux comprendre si tu ne comprends rien ? !… » et c’est monté et… c’est comme si c’était la goutte qui avait fait débordé le verre dont je parlais au départ. Je me suis levée et je les ai engueulée mais… comme des poissons crus. Tout est sorti. Je leur ai dit que j’en avais assez, ça suffit, et j’ai dit au directeur – parce que le harceleur était le directeur et le propriétaire de l’entreprise – je lui ai dit ça suffit, assez de me traiter comme un imbécile, vous n’avez pas le droit m’insulter et de me parler comme ça. Tu me dis que tu me l’as dit, alors qu’en fait tu ne me l’avais pas dit, ce n’est pas comme ça que ça s’est passé. Tu ne m’as pas donné l’information, tu as manipulé ton discours pour inverser la situation » et je criais et à la fin j’ai dit « vous savez quoi, c’est inutile je m’en vais » et j’ai claqué la porte et je suis partie. Il était 22 heures.
Après être partie, j’étais mal, j’étais malade toute la nuit… J’avais mal au ventre, je vomissais, j’avais des frissons, j’avais froid… et finalement, quand j’ai dormi il était 9h, je me suis réveillée je me suis dit que ça ne pouvait plus durer : j’allais soit me perdre, ma santé, et pour quoi ? Pour un putain de boulot ?! » Alors, j’ai envoyé un e-mail à la DRH expliquant que j’avais peur de cette personne ; Je lui ai également envoyé un e-mail à lui en lui disant que je ne venais pas travailler. Et à partir de ce moment, j’ai inversé la situation. A partir de là parce que – avec l’aide de mes cousins je peux le dire, qui ont été formidables et sont restés à mes côtés – je suis allée voir un médecin et je lui ai dit que j’étais harcelé. C’était un vendredi et j’ai eu de la chance parce que le lundi d’après il n’était pas là, et j’ai vu le médecin du travail que l’entreprise m’avait attribué, et je l’ai également prévenu. Et c’est ainsi que j’ai inversé la situation. J’ai parlé à la responsable RH et je lui ai dit que c’était inacceptable : qu’il fallait arrêter de me dire que j’avais été recrutée parce que j’étais misérable et que je venais d’un pays misérable ». Et j’ai gagné en puissance, je me suis regardée dans le miroir, c’est ce qui s’est passé. Et je me suis dit « Ce n’est pas moi, ce n’est pas moi qui est nulle et qui ne comprends rien… c’est lui! Et lui – ce qui fait peur dans ce scénario, c’est qu’ils savent qui ils choisissent. Il m’a choisie parce que je n’avais aucune expérience dans le domaine. J’ai 41 ans, je n’avais aucune expérience dans le domaine et il m’a choisi à un poste que je ne connaissais pas. En fait, c’était pour me dominer, pour qu’il puisse prendre le dessus et que ça lui donne l’occasion de me rabaisser… Et après avoir parlé aux RH je me suis sentie plus forte, j’ai réalisé qu’il n’en savait pas plus que moi. Il ne savait rien de ma position donc si je connais 10% ; je connais 10 % alors que lui il ne sait rien. Et c’est là que j’ai commencé à prendre le dessus. Je me suis renseignée sur la discipline, je lui ai dit comment les choses devaient se passer, et je peux vous dire que… ce n’est pas un travail facile car je l’ai payé avec ma santé. Mais maintenant je peux vous dire qu’il n’ose plus rien dire.
Rien du tout. Il sait très bien que s’il crie, je ne l’accepterais pas et je l’accuserais, directement. Alors maintenant il se comporte en ami. Mais je reste sur mes gardes et je fais toujours attention. Parce que pour moi, quelqu’un comme ça sera toujours comme ça, c’est un caractère profondément ancré dans la personne. Et donc, ouais… Maintenant ça va beaucoup mieux. Je peux vous confirmer que la peur est partie. Évidemment, inconsciemment je garde un œil ouvert, les soupçons ne partiront jamais parce que je me dis que si la personne a pu aller jusque-là à me rabaisser et m’insulter, être impolie etc. ça veut dire que c’est sa nature. Alors je fais attention, et il le sait . Alors il essaie d’être amical mais je prends mes distances. Mais je suis plus à l’aise, je lui fais face, et donc tout va mieux. Donc, ce n’est pas impossible, mais c’est difficile, c’est très difficile. Parce que, franchement ça laissera une trace – ça a laissé une trace- toute ma vie, c’est terrible. Mais c’est aussi une victoire parce que j’ai complètement changé la situation.«