Impuissance (ou résignation) acquise
En 1967, le psychologue américain Martin Seligman a mis des chiens dans une cage et a lancé un électrochoc à travers les barreaux. Les chiens ont immédiatement tenté de s’échapper, mais la porte de la cage était fermée. Au deuxième choc électrique les chiens ré-essayèrent, en vain… et ainsi de suite, jusqu’au énième essai où les chiens n’essayèrent plus: ils avaient compris.
Dans la deuxième partie de l’expérience les chercheurs ont ouvert la porte de la cage. Sauf que cette fois les chiens n’essayaient plus de sortir. Ils avaient appris l’impuissance, et s’étaient résignés à accepter leur sort.
Cette théorie de l’impuissance apprise est souvent utilisée dans le champ de la dépression; c’est une tendance qui favorise l’apparition de symptômes anxieux-dépressifs, du burn-out etc. Pour autant je la trouve particulièrement adaptée en ce qui concerne mon pays d’origine, le Liban.
Le cas du Liban
Nous sommes en pleines fêtes de fin d’année, les 20 millions de libanais expatriés veulent tous rentrer chez eux pour les fêtes. La compagnie aérienne locale ayant le monopole, les billets de 250 euros en hors saison passent à 1000 ou plus pour la saison – pour cela, beaucoup de libanais se résignent à passer Noël loin de chez eux…
Pour ceux qui arrivent, ou ceux qui ne sont jamais partis, c’est une autre histoire. Les routes sont tellement surchargées qu’un chemin de 20min finit par prendre 3 à 4h. Sans compter les inondations de l’hiver qui, si elles arrivent, arrêtent le temps pour les usagers de la route.
Ce n’est pas un nouveau problème: c’en est un qui existe et qui s’intensifie depuis bien trop longtemps. Les personnes au pouvoir le savent, on leur a même proposé diverses solutions, mais elles ne font rien – à moins d’en tirer un profit égale pour tous. Il en est de même pour la pollution de l’eau, de l’air et du sol, la crise des déchets, la pénurie de l’électricité, les injustices sociales et la pauvreté etc. Nous sommes gouvernés par une mafia qui n’a aucun intérêt à trouver une solution qui modifierait sa source principale des revenus: le chaos.
A l’étranger on me demande: mais pourquoi est-ce que le peuple accepte et ne fait rien?! Il ne s’agit pas d’acceptation: l’acceptation et la résignation sont deux choses différentes. Mais il s’agit en effet de résignation, d’impuissance apprise, que les personnes au pouvoir connaissent trop bien.
Une cage et une porte
Quand un peuple a traversé 15 ans de guerre civile, 30 ans d’occupation, et une durée indéterminable de république de bananes: il se résigne.
Des générations sont nées et mortes dans l’espoir de voir la fin du tunnel. Frères et sœurs se sont entre-tués, ils se sont vus périr pour une cause qui n’a jamais abouti: l’horizon s’éloignait, au fur et à mesure qu’on croyait s’approcher.
Beaucoup sont devenus résilients. Ils ont développé des mécanismes de défense pour vivre avec, des forces et des faiblesses pour faire avec. Ce qui est inenvisageable pour certains est une réalité pour beaucoup…
…et je leur souhaite le meilleur.
Je leur souhaite une vie où ils n’auraient plus besoin d’être si résilients, où ils apprendraient que c’est possible d’ espérer plus, qu’ils le méritent. En attendant, je leur souhaite un très joyeux Noël! Je sais que leurs sourires ne disparaîtront pas, que leurs familles sauront se rassembler, physiquement ou mentalement, quelques soient les circonstances. Je sais qu’ils s’entraideront, parce qu’ils ont appris. Ils ont appris à compter d’abord sur eux mêmes, et ensuite sur les autres et sur leurs communautés. C’est d’ailleurs peut-être pour ça, qu’il ont tellement réussi ailleurs…