Peu après être devenue maman, voyager devenait un vrai défi. Dans les rares moments que je pouvais m’accorder pendant cette transition, j’ai cherché à satisfaire mes envies d’évasion, en regardant des séries italiennes. C’est ainsi que je suis tombée sur Il Gattopardo (Le Guépard) : un roman italien magistral adapté en mini-série, qui retrace les bouleversements de la société sicilienne au moment de l’unification de l’Italie.
Une phrase de l’écrivain italien Giuseppe Tomasi di Lampedusa m’a profondément marquée :
« Si on veut que tout reste pareil, il faut que tout change »
J’étais donc là, post-partum, face aux changements de mon corps et une vie en pleine mutation, peinant à retrouver du temps pour moi — et cette phrase ne pouvait pas mieux tomber. Elle m’a rappelé un de mes articles de blog inachevé que j’avais commencé à écrire bien avant de savoir que j’étais enceinte : sur l’utilité de l’ordre et du désordre.
Je revenais justement d’une conférence à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, à Paris. Je ne m’étais pas vraiment penchée sur le programme avant d’y aller — il y avait un concert après, et le thème m’attirait naturellement, alors j’y suis allée un soir, après le travail.

Contre toute attente, ce n’était pas une philosophe qui intervenait, mais une physicienne quantique : Catherine Bréchignac, commandeure de la Légion d’honneur, secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie des sciences et ancienne présidente du CNRS. Elle expliquait que la science dure, longtemps ancrée dans une idéologie de l’ordre, avait atteint ses limites et qu’elle commençait à s’ouvrir à l’idée de désordre. Elle insistait sur le fait que la vie, dans la nature, n’aurait pu émerger sans à la fois l’ordre et le désordre : les deux sont essentiels à notre existence — que ce soit au niveau moléculaire ou (si vous voulez mon avis) psychologique.
Le désordre est une force nécessaire qui vient remettre en question l’ordre établi, aussi bien au niveau individuel que collectif.
Pour illustrer cela, elle évoquait les vols migratoires d’oiseaux, qui adoptent souvent une formation en V. Dans ces groupes, aucun oiseau n’est leader en permanence. Les oiseaux échangent leurs positions, maintenant ensemble la forme globale du groupe. Le signal de changement de direction vient souvent d’un ou de quelques individus — probablement ceux en périphérie, plus à même de détecter un danger — et ce signal se propage en onde à travers le groupe. Chez les oiseaux, il suffit d’une poignée d’éléments “hors norme” pour provoquer un changement de trajectoire collectif.

Et nous, les humains ? Sommes-nous aussi ouverts au changement ?
En regardant autour de moi, ce soir-là, j’en doutais. Les personnes avaient du mal à accepter cette idée. En les écoutant débattre de ce qui, pour moi, semblait une évidence, j’ai réalisé à quel point il est difficile de se détacher de nos idéologies bien ancrées. Et c’est justement là que le désordre devient essentiel.
dans les sociétés humaines, Comme dans les vols d’oiseaux, la psychologie sociale nous apprend que ce sont souvent les minorités qui portent le changement. D’un point de vue individuel, ce que l’on appelle un trouble psychologique est souvent un déséquilibre, une rupture de l’ordre ou de l’harmonie — mais aussi, une opportunité de réécrire le récit de sa vie et de développer de nouveaux mécanismes de défense utiles à notre bien-être. Une crise est une opportunité, et dans ces moments là, la flexibilité cognitive devient clé pour survivre.
La résilience, intervient donc quand l’équilibre est restauré, qu’un nouvel ordre émerge — un ordre ayant appris du désordre précèdent.
Comme une valse perpetuelle, c’est à ce moment-là que la musique recommence.
Le concert post-conférence débutait et je contemplais comment la musique — et l’art en général — remet en question nos sociétés tout en réflétant cette tension magique entre ordre et désordre. L’art, c’est cet équilibre fragile et difficile à trouver entre les deux. Il est dynamique, jamais figé.
Dans les relations aussi, le désordre est essentiel. Le conflit nous invite à communiquer quand l’équilibre relationnel est rompu. Il permet à la danse de s’arrêter, ou de continuer — selon les interlocuteurs.
Et tout comme les catastrophes naturelles surviennent dans des environnements prédisposés, le désordre émerge là où l’ordre mérite d’être remis en question.
J’essaie donc de me le rappeler à chaque fois que je regarde le monde changer…
Ma conclusion ? Apprendre à aimer l’inconfort. Accueillir le changement.
Et surtout, arrêter de croire que ce n’est pas naturel. Apparemment — et maintenant je le sais de source sûre — la Nature, elle aussi, a besoin des deux.